Blue Tampax

Tel notre gouvernement en temps de crise, je vais faire preuve de pédagogie. Car souvent j’ai eu l’occasion de constater que les gens ont tendance à se perdre dans le nœud inextricable de mes divers projets musicaux, qui sont au nombre de deux. À l’époque où j’étais guitariste dans le groupe La Féline, mené par Agnès Gayraud, j’annonçais un concert et des gens se pointaient au bar La Féline, croyant m’y voir jouer en solo. Depuis quelque temps, je joue à nouveau dans un groupe, poétiquement nommé Blue Tampax. Explications.

Il y a environ un an, j’ai vu le documentaire Pretend We’re Dead, consacré au groupe L7, qu’au passage je vous recommande chaudement (le groupe et le docu). Sortant de la salle, j’avais envie d’être elles (ou, à défaut, de faire partie d’un groupe avec des meufs comme elles). J’expliquais tout cela dans mon podcast.

Règles bleues

Une nuit, à cette période, j’ai rêvé que je formais un groupe appelé Black Tippex. J’ai aimé le côté absurde : qui va utiliser du Tippex noir pour corriger un texte ? Mon mec m’a dit : « Blue Tampax, ce serait encore mieux. » Et en effet ! À ce sujet, François Corbier, oui, celui des Musclés du Club Dorothée (notez le crédibilité rock’n’roll de la référence) a écrit une chanson disant que « dans la publicité, nos femmes ont les règles bleues », c’est pourtant vrai, pourquoi du liquide bleu, les publicitaires trouvent donc le sang des règles si dégueulasse ? Il faut croire que oui ; un jour, j’ai entendu une collègue de chez Photo Service clamer que les règles, c’était crade. Et elle était mère… Je lui ai rappelé que c’est pourtant vautrée dans son endomètre, donc ses règles, que sa fille avait passé neuf mois de sa vie. Elle a hurlé que bien sûr que non, j’avais rien écouté à l’école, ou quoi ? Les règles, tout le monde sait que c’est l’ovule qui s’en va ! J’ai eu beau lui rappeler qu’un ovule est microscopique, devant son obstination j’ai compris pourquoi certains ont recours à la violence, quand les mots ne peuvent plus rien. Les gens bêtes, c’est comme les gens bourrés : impossible de discuter.
Bref, je me suis dit que, si un jour je parvenais à former un groupe féminin, je le nommerais Blue Tampax. Parce que ça claque, mais surtout parce qu’une musicienne acceptant de jouer dans un groupe portant ce nom ne peut qu’être une meuf cool.

Quiche lorraine

Cette idée est restée à l’état de vague projet marrant dans ma tête, comme d’appeler un futur chaton Usufruit. Je projetais parfois de passer une annonce sur les sites de zicos, pour chercher des zicossiennes aimant L7 et Judee Sill, mais cette perspective me fatiguait avant même d’avoir allumé l’ordi. Le monde des annonces de zicos ferait passer le Mordor pour Bora-Bora. Vous pensez que les musiciens sont des gens intelligents, ouverts et tout pleins de sensibilité ? Vous aviez oublié les chanteuses façon Céline Dion, les papys de Crépy-en-Valois qui font des reprises de Deep Purple et les jeunes batteurs maîtrisant la double. La double quoi ? Ben la double grosse caisse, banane !

J’ai rencontré Alizon à un concert où elle jouait avec son formidable groupe Quiche My Ass. Rien que le nom, vous avez envie d’écouter ? C’est par là que ça se passe !J’ai passé un super moment et, après avoir entendu leur reprise de « Quiche lorraine » des B52’s et leur chanson « Only Ugly People Get Married », j’ai senti, disons, une certaine connexion avec mon œuvre littéraire. Du coup, j’ai acheté leur CD et en ai profité pour discuter avec eux (l’ennui, c’est que je ne me souviens pas de ce que l’on s’est dit, trou de mémoire de fin de soirée). Plus tard, en mars, Alizon est venue me voir jouer à la Pointe Lafayette et a apporté de la… quiche pour que l’on se sustente avant de monter sur scène, ce qui est toujours une bonne idée si l’on veut éviter la GDB. On s’est mises à discuter de Joan Baez, on a découvert qu’on reprenait toutes les deux sur scène « Love Is Just a Four-Letter Word », chanson à laquelle je songeais depuis longtemps à consacrer un podcast, auquel Alizon a participé.

Ouap kebap

C’est ainsi que nous nous sommes mises à jouer ensemble, d’abord des reprises lors de hootenannies organisés à Montreuil après des concerts de country old times des Cuckoo Sisters. Pendant qu’on répétait, des idées de chansons plus ou moins stupides nous sont venues, comme d’adapter le morceau country « Oysters & Wine at 2 A.M. » en « Kebap & Fries at 2 A.M. » parce que la veille, j’avais cédé à la tentation d’un bon kébab bien gras en sortant du bar, après minuit (j’avais honte, et un gros ventre). Contre toute attente (et toute logique), la chanson qui en est sortie était bonne, alors on en a composé d’autres.
Et puis on s’est mises à chercher une batteuse, ce qui ne fut pas une mince affaire. Nous inspirant de la petite annonce qui a permis à Kim Deal d’intégrer les Pixies, « cherche bassiste entre Hüsker Dü et Peter, Paul & Mary », on a publié sur Twitter et les groupes Facebook de rencontres musiciens un truc du genre « Le groupe Blue Tampax cherche sa batteuse. Nos influences sont variées, entre Joan Baez et L7, en passant par The Chordettes et Courtney Barnett. » Nous avions oublié à quel point les zicos sont premier degré. Je vous passe les commentaires beaufs sur le nom du groupe (quoique non, je ne vous les passe pas ; exemple : « Heureusement que c’est pas Red Tampax, parce que là sinon… » – comme quoi les publicitaires ont de bonnes raisons de montrer les règles bleues). Nous avons eu des réactions du genre : « Oh trop cool, j’aime beaucoup L7 ! Ah mais… Mais ce que vous faites, ça ne ressemble pas à L7… » Ben non, fallait lire l’annonce en entier.
Et puis, nous sommes tombées sur Hijiri, on a fait une répète et les chansons ont tout de suite sonné comme elles auraient dû, comme on les imaginait dans nos têtes. C’était il y a peu de temps, du coup elle ne joue pas sur notre démo en ligne sur Bandcamp. On a enregistré vite fait quatre titres qu’on a mis en ligne dans le but de trouver des dates de concert, d’ailleurs nous en avions un prévu le 15 mai à la Pointe Lafayette, mais avec ce putain de coronavirus et le confinement obligatoire, nous ne sommes pas certaines que la date soit maintenue, ni de pouvoir suffisamment répéter pour assurer un gig correct…

FAQ

Mais alors du coup, on fait quoi exactement, comme style de musique ?
Pas de la country, pas du folk, pas du L7 non plus, ni même du rock au sens strict. Je dirais, un peu de tout cela, avec de belles mélodies et des harmonies vocales. Nous n’avons qu’une seule règle : ne jamais écrire de chanson d’amour. Et ce n’est pas parce qu’on a une chanson sur le kébab et une autre parlant de cystite que nous sommes un groupe comique. Tout ceux qui ont déjà eu une cystite savent que ça n’a rien de drôle. Pour autant, nous ne sommes pas contre un peu d’humour de temps à autre…

Pourquoi un groupe entièrement féminin ?
Aucune revendication, nous ne sommes pas des militantes féministes. C’est juste que j’ai déjà officié dans divers groupes mixtes, et j’avais envie de tester, pour voir comment c’est de jouer dans un groupe où personne ne va m’expliquer ce que je sais déjà.
D’autre part, lorsque j’ai découvert le mouvement des Riot grrrls, sur le tard, alors qu’à Olympia tout était déjà fini depuis longtemps (mais, sans internet, ça a mis un temps incroyable à arriver jusqu’aux oreilles des adolescentes de Seine-et-Marne), j’ai adoré l’attitude, le look, les fanzines, tout cela m’a ouvert des perspectives que, sans cela, je n’aurais jamais soupçonnées. Le mouvement apportait des réponses à des questions si profondément enterrées en moi que j’ignorais leur existence. Mais trouver les disques était extrêmement difficile, alors je ne pouvais qu’imaginer leur musique. Le jour où, vers 20 ans, je me suis enfin procuré des albums de Bikini Kill, Bratmobile, Lunachicks… Quelle déception ! C’était la plupart du temps inaudible, braillard, strident… Franchement, je préférais les Kinks. Ma première pensée fut que ces filles auraient dû apprendre à jouer avant de publier des disques. Avec Blue Tampax, je veux faire la musique que j’aurais aimé entendre des Riot grrrls.